- MÉDICAMENTS
- MÉDICAMENTSLe médicament, comme la médecine, semble aussi vieux que l’humanité. On en trouve trace dans les civilisations les plus anciennes. Depuis les temps les plus reculés, l’homme a cherché dans la nature non seulement sa nourriture, mais des remèdes pour soulager ou guérir ses maux, et a appris à discerner les poisons.Jusqu’à une période récente, les médicaments ont été uniquement naturels, tirés des trois règnes (minéral, végétal et animal), et les drogues étaient utilisées en nature et sous forme d’extraits complexes. La notion de «principes actifs» et leur extraction datent vraiment du XIXe siècle; en même temps, les progrès de la physiologie expérimentale permettaient de donner une base plus rationnelle à l’emploi des médicaments, jusque-là souvent mêlé de pratiques magiques ou religieuses.Les remèdes, préparés et administrés directement aux malades par les guérisseurs ou les sorciers des sociétés primitives, l’ont été ensuite par les médecins eux-mêmes. Plus tard, ceux-ci se sont procuré leurs drogues chez les apothicaires, ancêtres des pharmaciens. Ces derniers ont, dans la plupart des pays, le monopole de la délivrance au public des médicaments.C’est seulement au début de ce siècle qu’a pris naissance, avec les progrès de la chimie, la préparation des médicaments de synthèse. Celle-ci a entraîné, dans les pays les plus évolués, le développement d’une industrie hautement spécialisée, branche de l’industrie pharmaceutique. C’est maintenant presque uniquement à celle-ci que reviennent la recherche et la préparation de nouveaux médicaments, leur expérimentation physiologique et clinique, leur mise en forme pharmaceutique.Le médicament moderne, préparé scientifiquement, de composition et d’activité définies et contrôlées, conditionné sous une forme pratique et même attrayante, est l’auxiliaire indispensable de la médecine, lié à ses progrès et à ses audaces. Dans la société actuelle, c’est, en apparence, un bien de consommation comme les autres, mais il n’en demeure pas moins ce qu’il était pour l’homme primitif: une protection contre la souffrance et la mort.1. Le médicament des origines à nos joursLes tablettes sumériennes de Nipur représentent les vestiges les plus anciens d’une pharmacopée, puisque y sont gravés, au troisième millénaire avant notre ère, les noms de drogues végétales: ase fétide, galbanum, jusquiame, opium, mandragore, etc.Le Ben cao jing chinois (2900 av. J.-C. environ) et le fameux papyrus (datant d’environ 1600 av. J.-C.) retrouvé par G. Ebers à Louqsor, qui donne la fabrication de remèdes pour toutes les parties du corps (fig. 1), renseignent sur les drogues employées à cette période. À côté de plantes toujours utilisées aujourd’hui comme sédatifs (pavot, jusquiame), purgatifs (séné, ricin, coloquinte), diurétiques (scille), etc., figuraient divers ingrédients: sang, os, graisses animales, et des minéraux comme l’ocre. La médecine était alors fortement mêlée de pratiques magiques.Les grands médecins grecs, dont le plus célèbre est Hippocrate (Ve s. av. J.-C.), utilisaient couramment les narcotiques. L’œuvre d’Hippocrate fut élargie quelques siècles plus tard par Dioscoride qui inventoria plus de cinq cents drogues d’origine minérale, végétale ou animale dans un traité célèbre écrit en 77 après J.-C., puis traduit en latin au XVe siècle, sous le titre de Materia medica.Chez les Romains, Galien, médecin et grand voyageur, a été le créateur de nombreuses formes médicamenteuses. À cette époque, on recherchait plutôt le remède universel en mélangeant un grand nombre de drogues. Sous Néron, la fameuse thériaque n’en comportait pas moins d’une centaine.Pendant la période troublée qui a fait suite au démembrement de l’Empire romain, les milieux religieux sont restés détenteurs de la science gréco-latine et ont préservé, dans les monastères, la culture des simples et leurs usages.L’école de Salerne a joui d’une grande renommée au XIe siècle et a laissé un formulaire célèbre, l’Antidotarium .L’apport de l’école arabe du XIIIe siècle à la pharmacie est considérable. Elle eut de grands médecins: Avicenne, Avenzoar, et surtout Ibn al-Baytar, qui décrivit plus de deux mille drogues dans le Corpus simplicium medicamentarum .C’est au XIIIe siècle qu’apparaissent en Europe les premières boutiques d’apothicaires, auxquels Saint Louis donne, en 1258, un statut pour la préparation et la vente des médicaments. Grâce aux croisades, les épices exotiques parviennent en Europe. Cependant, mêlée de sorcellerie et de charlatanisme, la connaissance médicale n’a guère progressé durant toute l’époque médiévale: l’alchimie règne alors sur l’Occident et on recherche l’or, la pierre philosophale, l’élixir universel. On soigne avec des extraits végétaux, mais aussi avec des organes d’animaux étranges ou venimeux, de l’urine, des pierres précieuses, de la terre sigillée (argile spéciale de l’île de Lemnos), etc.Paracelse, médecin suisse du début du XVIe siècle, pour lequel la nature était «une immense apothicairerie», est resté célèbre par sa «théorie des signatures». Cette théorie est fondée sur la croyance que l’aspect et la couleur des plantes sont en rapport avec leurs propriétés médicinales: ainsi, les plantes à suc jaune seraient efficaces contre les affections biliaires.Aux XVIe et XVIIe siècles, de nouvelles drogues (thé, café, cacao, etc.), introduites en Europe à la suite de la découverte de la route maritime des Indes et de l’Amérique, firent leur entrée en thérapeutique, parfois, comme le quinquina et l’ipéca, sous forme de «remèdes secrets». Au XVIIe siècle, on commence aussi à utiliser en médecine des sels minéraux bien définis: sulfate de magnésie, calomel, nitrate d’argent, etc.En 1777, les apothicaires furent, en France, officiellement séparés des épiciers par une ordonnance royale fondant le Collège de pharmacie.Le XIXe siècle est considéré comme le grand siècle de la médecine et de la pharmacie. De nombreux principes actifs sont isolés des végétaux, tels des alcaloïdes : morphine (F. W. Sertürner, 1805), strychnine et quinine (J. Pelletier et J. Caventou, 1818 et 1820), codéine, cocaïne, colchicine, etc., et des hétérosides : digitaline cristallisée (C. Nativelle, 1868), ouabaïne, etc. En même temps, la physiologie progresse notablement à la suite des travaux de Claude Bernard (curares). Après la découverte des sécrétions endocrines par C. Brown-Séquard (1889) naît l’opothérapie, ou utilisation d’extraits animaux; les travaux de C. Eijkman et de C. Funk sur une maladie par carence, le béribéri, sont à l’origine de la vitaminothérapie.Le développement de la chimie permet aussi de grands progrès en médecine: découverte du phénol et du chloral; emploi de l’anesthésie à l’éther, puis au chloroforme; synthèse de l’aspirine, des salicylates, etc. Une grande révolution thérapeutique, due aux travaux de Louis Pasteur, aboutit à la sérothérapie et à la vaccinothérapie, pour la guérison et la prévention de nombreuses maladies infectieuses en dehors de la stérilisation et de l’antisepsie.Le début du XXe siècle a vu l’essor de la chimiothérapie (médication par les substances d’origine chimique): arsenicaux antisyphilitiques de synthèse, barbituriques, sulfamides antimicrobiens, antipaludéens, etc., en même temps que la découverte de nouvelles substances naturelles: vitamine C (A. Szent-Györgyi, 1928), insuline (F. G. Banting et C. H. Best, 1921), folliculine (E. A. Doisy, 1929), œstrone (A. Butenandt, 1929), etc.L’ère des antibiotiques a pris naissance pendant la Seconde Guerre mondiale, avec la préparation, à l’état pur et à grande échelle, de la pénicilline découverte en 1929 par A. Fleming. Après la streptomycine, le chloramphénicol et les tétracyclines, des centaines de substances antibactériennes ou antifongiques ont été isolées des végétaux inférieurs; une cinquantaine sont aujourd’hui couramment employées en thérapeutique. La chimiothérapie n’a cessé de fournir de nouvelles substances actives: anticoagulants, antihistaminiques, tranquillisants, antituberculeux, curarisants, hypoglycémiants, antitumoraux, etc.Parmi les substances d’origine naturelle, on peut citer: des alcaloïdes tels que la réserpine à propriétés hypotensives et sédatives, isolée de Rauwolfia serpentina et la vincaleucoblastine et la vincristine, efficaces contre la leucémie, extraites de la pervenche tropicale (la vincamine de la petite pervenche, améliorant la circulation cérébrale); la cortisone et d’autres corticoïdes anti-inflammatoires (en particulier les travaux de Reichstein et al.). La découverte de ces substances a eu un retentissement particulièrement important.On assiste chaque année à la naissance de nouveaux médicaments, d’origine naturelle, synthétique ou hémisynthétique, et, si la plupart sont éphémères, quelques-uns viennent enrichir de façon durable l’arsenal thérapeutique.2. Le médicament moderneLes médicaments ont beaucoup évolué depuis leur origine, et l’on envisagera dans cette partie leur constitution et leur action physiologique.Définition juridiqueLa définition juridique du médicament ne possède qu’une valeur relative, car elle n’est applicable qu’à un pays donné. Cependant, une directive de la Communauté économique européenne (C.E.E.) du 26 janvier 1965 s’est efforcée de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives pour les pays du Marché commun. En France, la définition du médicament est donnée par l’ordonnance du 23 septembre 1967 modifiée le 31 décembre 1971 et le 10 juillet 1975: «On entend par médicament toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l’homme ou à l’animal, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques. Sont notamment des médicaments les produits cosmétiques et d’hygiène corporelle contenant des substances vénéneuses à des doses supérieures à celles qui ont été fixées par une liste établie par arrêté ministériel, et les produits diététiques qui renferment dans leur composition des substances chimiques ou biologiques ne constituant pas par elles-mêmes des aliments, mais dont la présence confère à ces produits soit des propriétés spéciales recherchées en thérapeutique diététique, soit des propriétés de repas d’épreuve.» Les médicaments vétérinaires sont soumis à une législation particulière (29 mai 1975).Les constituantsMédicaments d’origine naturelleLes médicaments d’origine naturelle sont tirés des trois règnes: minéral, animal, végétal.Médicaments d’origine minérale . Divers éléments simples ou leurs sels tels que le soufre, l’arsenic, les iodures, les phosphates, les sels de fer, de calcium, de magnésium, de mercure, le charbon, le talc..., anciennement utilisés comme remèdes, font toujours partie de l’arsenal thérapeutique.Médicaments d’origine animale. L’opothérapie est réduite aujourd’hui aux extraits de foie ou de thyroïde. Mais les organes animaux servent à préparer des hormones (insuline, hormones hypophysaires...), un anticoagulant (l’héparine), ou des enzymes (pepsine, 見-chymotrypsine, trypsine, hyaluronidase...), couramment utilisés en thérapeutique. Les sels biliaires sont des précurseurs pour la synthèse des hormones sexuelles ou corticosurrénaliennes; les huiles de foie de poisson sont une source de vitamines A et D, etc.Médicaments d’origine végétale. Ils ont été, et demeurent encore, la source principale des médicaments naturels. Leur emploi en nature (tisanes, poudres) est relativement peu important. Les formes galéniques (teintures, extraits ...) restent des médicaments d’administration commode et peu coûteuse de l’ensemble des principes actifs d’un végétal, l’extrait total étant parfois plus efficace que les constituants isolés.Les plantes médicinales servent en outre de matière première pour l’extraction des principes actifs qu’est devenue l’utilisation majeure de ces végétaux. La plupart des alcaloïdes (morphine, ergotamine, quinine, ajmaline, réserpine...), des hétérosides (digitaline, digoxine, rutine...), des antibiotiques (pénicilline, streptomycine, tétracyclines, céphalosporines...) sont retirés des végétaux. Même lorsque la synthèse de ces substances est possible, elle est souvent plus complexe et plus coûteuse que l’extraction du produit naturel. On envisage aussi la production de principes actifs par culture in vitro de tissus végétaux et de cellules.Les plantes fournissent également des précurseurs pour la préparation hémisynthétique de médicaments dérivés des alcaloïdes de l’ergot, d’antibiotiques naturels, etc.; de plus, on a trouvé chez des végétaux (dioscorea et agave) une source abondante de stéroïdes, inactifs par eux-mêmes, mais dont le chimiste peut modifier la structure, en particulier par l’utilisation des enzymes de champignons inférieurs, pour passer aux hormones sexuelles et cortico-surrénaliennes dont les emplois en thérapeutique sont toujours croissants.Enfin, les principes immédiats des végétaux servent souvent de point de départ dans la préparation de médicaments de synthèse. Ainsi, la structure de l’aspirine (acide acétylsalicylique) est voisine de celle de la salicine des écorces de saule, fébrifuge populaire, et de l’aldéhyde salicylique des spirées. Les anticoagulants, les anesthésiques locaux, les antimalariques et les curarisants de synthèse sont directement inspirés de substances naturelles.Médicaments de synthèseLe médecin allemand P. Ehrlich est considéré comme le père de la chimiothérapie grâce à la découverte d’arsenicaux de synthèse efficaces contre la syphilis et la maladie du sommeil. La chimie de synthèse s’est surtout développée dans les dernières décennies: sulfamides actifs contre de nombreuses bactéries (travaux de l’Institut Pasteur: E. Fourneau, J. Tréfouel et T. Tréfouel, F. Nitti et D. Bovet), antimalariques de synthèse, antihistaminiques, barbituriques, tranquillisants: dérivés de la phénothiazine, puis benzodiazépines, antituberculeux (isoniazide, acide para-aminosalicylique), 廓 bloquants, etc.Contrairement aux apparences, la chimie de synthèse n’est pas plus aisée que la chimie extractive. En effet, la synthèse des médicaments comporte de nombreux stades intermédiaires, au cours desquels il se forme des isomères et des produits secondaires qu’il faut éliminer; en outre, beaucoup de composés obtenus sont trop toxiques pour l’emploi thérapeutique. De plus, le rendement est souvent faible.Les partisans de la thèse «naturaliste» n’accordent leur confiance qu’aux médicaments issus de la nature vivante, dont l’action est confirmée par un long usage et dont les risques sont connus; au contraire, les «rationalistes» mettent en relief la netteté et la constance d’action du médicament de synthèse. En réalité, les deux groupes de médicaments ne sont pas opposés (les médicaments hémisynthétiques en sont la preuve), mais se complètent pour une thérapeutique efficace.L’action physiologiqueVoies d’administration et dosesOn classe les médicaments suivant leur mode d’action sur les différentes fonctions ou organes. Depuis 1968, l’Organisation mondiale de la santé (O.M.S.) distingue trente-quatre catégories de médicaments: stimulants et dépresseurs du système nerveux central, médicaments du tissu conjonctif, anesthésiques locaux, médicaments du système nerveux autonome, médicaments cardiaques, vasculaires, agissant sur le sang, sur l’appareil respiratoire, l’appareil digestif, sur le système musculaire, sur l’appareil génito-urinaire, ocytociques, anti-infectieux, hormones, vitamines, enzymes, cytostatiques, etc. Une liste révisée des médicaments essentiels a été publiée en 1980 par l’O.M.S. (tabl. 1).L’influence de la voie d’administration est importante. Les médicaments peuvent être administrés par voie orale, mode d’administration le plus ancien et qui reste le plus fréquent (comprimés, gélules). Il faut d’ailleurs tenir compte du moment d’administration et de l’interaction avec les aliments. Surtout en cas d’urgence, on utilise la voie parentérale: intramusculaire, intraveineuse, sous-cutanée. Les voies rectale (suppositoires), vaginale et aérienne (aérosols) sont parfois intéressantes. Enfin, l’usage externe, très primitif, a gardé un intérêt actuel (pommades).La notion de l’influence de la dose est primordiale, car il n’y a souvent pas de différence essentielle entre médicament et poison; d’ailleurs, le terme grec pharmakon désignait à la fois le remède et le poison. Beaucoup de poisons utilisés par les populations primitives pour enduire leurs flèches ou rendre un verdict en cas de délit ou de crime se sont révélés, à très faible dose, des médicaments utiles, tels que l’ésérine extraite de la fève de Calabar, l’ouabaïne, la K strophanthine isolée des Strophanthus et les curares des Ménispermacées.À propos de l’administration de doses répétées d’un même médicament, trois cas peuvent être observés: généralement, les mêmes doses produisent les mêmes effets; mais, dans certains cas, il peut y avoir soit un renforcement de l’action (sensibilisation ), soit, au contraire, une diminution (accoutumance ) qui se produit particulièrement avec les stupéfiants [cf. MORPHINE]. En outre, les actions de deux médicaments peuvent s’additionner (synergie ), s’intensifier (potentialisation ) ou, au contraire, se neutraliser (antagonisme ). Enfin, on peut observer des cas d’hypersensibilité individuelle, et on touche là au problème important de l’allergie [cf. ALLERGIE ET HYPERSENSIBILITÉ].Alors que la thérapeutique courante emploie surtout les médicaments allopathiques, qui s’opposent aux symptômes ressentis, dans la médication homéopathique, on administre, à doses très faibles, des médicaments provoquant les symptômes que l’on désire combattre. On distingue aussi les médicaments étiologiques, agissant sur la cause de la maladie (antimicrobiens, parasiticides), de ceux qui sont seulement symptomatiques, c’est-à-dire qui empêchent ou atténuent certaines de ses manifestations (analgésiques).Mécanismes d’action des médicamentsQuelques médicaments agissent localement au point d’application, mais, dans la majorité des cas, pour être actifs, ils doivent pénétrer dans le milieu intérieur: sang et lymphe, liquides intercellulaires (fig. 2). Les effets d’un médicament dépendent de sa dose ou de sa concentration, suivant une loi qui s’exprime graphiquement en coordonnées semi-logarithmiques par une sigmoïde.L’absorption peut se faire par la peau, par les muqueuses (surtout la muqueuse intestinale). Lorsqu’ils sont introduits dans le tissu conjonctif sous-cutané ou dans les muscles, ils pénètrent dans les vaisseaux sanguins et lymphatiques. L’absorption est dans ce cas plus ou moins rapide; certains véhicules «retards», peu diffusibles, permettent d’en prolonger l’action. Si on les administre par voie intraveineuse, leur action est instantanée.Certains médicaments se combinent fortement aux protéines plasmatiques; d’autres se fixent sur différents organes (notamment dans le foie) ou tissus, mais pas toujours aux points où se produit l’action pharmacologique.Ils subissent des transformations chimiques (métabolites): hydrolyse par les sucs digestifs ou la flore intestinale, oxydation, réduction, conjugaison (glycuroconjugués), etc. Enfin, ils sont excrétés par l’urine, les fèces, les poumons, la peau, etc.Pour Claude Bernard (1857), l’effet des substances toxiques et médicamenteuses devait faire intervenir des phénomènes mécaniques, physiques et surtout chimiques. L’étude des relations entre structure chimique et activité pharmacologique s’est révélée assez inconstante. Dans certains cas, on a montré que les médicaments sont des inhibiteurs enzymatiques; ainsi, les antibiotiques agissent souvent en inhibant les enzymes bactériennes. Ils peuvent être des antimétabolites (antagonistes de la synthèse biologique de molécules indispensables à l’édification de la cellule bactérienne).On constate souvent que le médicament agit sur la cellule au niveau de sites spécifiques ou récepteurs (dont les mieux connus sont les 見 et 廓 récepteurs adrénaliniques). Par ailleurs, certains médicaments agissent au niveau de la membrane et en modifient la perméabilité (au sodium et au potassium). Il ne faut pas oublier le rôle de la synergie, de l’accoutumance, l’importance des facteurs individuels (allergie) et même des facteurs psychologiques. Les médicaments placebos, c’est-à-dire inactifs mais donnés au malade «pour lui faire plaisir», peuvent jouer un rôle favorable dans certaines affections (médecine psychosomatique). Néanmoins, l’administration concomitante de plusieurs médicaments peut amener des effets indésirables.3. Préparation et délivrance des médicamentsEn France et dans la plupart des nations européennes, c’est le pharmacien qui s’occupe de la préparation des médicaments et de leur distribution au public. Si certains sont en vente libre dans d’autres pays tels que les États-Unis, c’est toujours au pharmacien que revient la délivrance des médicaments toxiques inscrits aux tableaux A, B et C des substances vénéneuses et soumis à une législation particulière. On distingue les médicaments magistraux, officinaux, spécialisés.Les médicaments magistraux sont préparés extemporanément à l’officine, en exécution d’une ordonnance.Les médicaments officinaux figurent aux pharmacopées. Celles-ci, qui étaient à l’origine de simples recueils de formules, précisent actuellement les normes auxquelles doivent répondre les différents produits. À côté des pharmacopées nationales, il existe une pharmacopée internationale, éditée à Genève par l’O.M.S. en plusieurs langues (1re éd. 1951, 2e éd. 1967, 3e éd., vol. I, 1980), et une pharmacopée européenne, rédigée par les experts des pays de la C.E.E. et de diverspays (t. I, 1965, t. II, 1971, t. III, 1975, 2e éd., 1980).Les médicaments spécialisés sont préparés à l’avance et présentés sous un conditionnement particulier en vue de la vente au détail et caractérisés par une dénomination spéciale. Aucune spécialité ne peut être débitée à titre gracieux ou onéreux si elle n’a pas reçu une autorisation de mise sur le marché (A.M.M.). La vente de ces spécialités pharmaceutiques représente actuellement 80 p. 100 du chiffre d’affaires d’une officine française. À part quelques spécialités d’officines ou hospitalières, elles sont de fabrication industrielle.L’industrie pharmaceutique s’est développée dans la plupart des nations occidentales lorsque l’évolution de la chimie et les progrès de la thérapeutique ont rendu nécessaire la préparation massive de la plupart des médicaments hors de l’officine. C’est à cette industrie que reviennent, outre la recherche qui sera étudiée plus loin, la préparation des substances actives par extraction à partir d’une matière naturelle, par synthèse ou hémisynthèse, et la mise en forme pharmaceutique , étudiée par la pharmacie galénique, comportant généralement l’addition aux principes actifs d’un excipient qui donne aux médicaments la consistance et l’effet recherchés et intervient parfois pour favoriser l’absorption. Une technologie assez raffinée conduit maintenant à des formes multiples. Aux pilules, cachets, sirops, pommades, suppositoires se sont ajoutés comprimés aux aspects multiples, dragées, gélules, ampoules, nébulisats, aérosols, etc. Des formes nouvelles (liposomes, nanoparticules) sont à l’étude. Pour un même produit existent, la plupart du temps, plusieurs formes ou «présentations». Une forme convenable influe sur l’absorption et l’élimination (formes retard). On attache une grosse importance à la biodisponibilité (fraction du médicament captée dans l’organisme sous une forme biologiquement active).De nombreux contrôles de plus en plus sévères sont exercés: essais des matières premières, contrôles en cours de fabrication, contrôle du produit fini (essais analytiques, pharmacologiques, cliniques), détermination de la posologie et des indications thérapeutiques principales, étude de la stabilité et de la biodisponibilité, recherche des effets indésirables. Les demandes d’autorisation de mise sur le marché suivent des procédures variables selon les pays, toujours complexes. En application de la première directive de la C.E.E. (26 janv. 1965), la création d’une spécialité nouvelle doit réunir trois conditions: absence de danger, intérêt thérapeutique et nouveauté. Enfin interviennent la diffusion de l’information médicale (contrôle de la publicité) et, en France, le taux de remboursement par la Sécurité sociale.4. Recherche de nouveaux médicamentsMalgré les progrès de la thérapeutique, il reste encore place pour de nouvelles médications, soit parce que certaines substances actives sont assez mal tolérées, ou au contraire entraînent l’accoutumance, soit par suite de l’apparition de nouveaux syndromes ou de souches microbiennes résistantes, soit enfin parce que l’on est encore désarmé contre un certain nombre de maladies. La recherche de nouveaux médicaments s’effectue dans les universités, dans des organismes tels que le Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S.), l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (I.N.S.E.R.M.) et dans l’industrie; elle s’exerce dans plusieurs voies.L’exploration des ressources naturelles, et notamment du monde végétal, est réalisée par l’étude systématique des plantes d’une région déterminée ou mieux des remèdes de la médecine populaire ayant les mêmes applications thérapeutiques (plantes antidiabétiques, antitumorales, anticonceptionnelles...), ou des plantes d’une même famille botanique, chez lesquelles des essais chimiques préliminaires (screening des Anglo-Saxons) mettent en évidence les principes actifs possibles (alcaloïdes, saponosides, stéroïdes, polyphénols...).La modification de la structure de composés déjà connus, d’origine naturelle ou synthétique, a pour but de diminuer leur toxicité, d’améliorer leur taux d’absorption, d’obtenir des effets plus rapides ou plus durables, donc de tenter d’augmenter l’activité ou de dissocier les activités existantes.La synthèse de nouveaux médicaments permet d’obtenir, à partir d’une molécule donnée, un grand nombre de molécules. On doit être guidé alors par la recherche d’une action pharmacologique particulière ou par la lutte contre une maladie déterminée. Désormais sont données de nouvelles directives plus en rapport avec la biologie: étude de la cause des phénomènes pathologiques et des moyens d’y remédier.Toutes ces recherches nécessitent plusieurs étapes: documentation, choix des matières premières, isolement ou synthèse de principes actifs, étude pharmacologique complète de ceux-ci (toxicité aiguë, chronique, recherche des propriétés tératologiques éventuelles chez plusieurs espèces animales), action sur les différents organes, étude du métabolisme, et même pharmacocinétique (étude quantitative du sort du médicament dans l’organisme: temps de demi-vie, élimination, etc.). Lorsqu’on a fait la preuve à la fois de l’innocuité et de l’efficacité du nouveau médicament, il faut lui donner des formes pharmaceutiques convenables et passer aux essais cliniques, enfin demander l’autorisation de mise sur le marché au ministère de la Santé publique.La recherche pharmaceutique n’est donc plus possible pour un chercheur isolé; elle demande la collaboration de biologistes, de pharmaciens, de médecins, de vétérinaires et l’emploi de techniques variées, souvent onéreuses. Elle est généralement le fait de grosses firmes, nationales ou internationales. Peu des produits essayés sont commercialisables et la mise au point d’un produit nouveau dure de nombreuses années et se chiffre en millions de francs. Beaucoup des nouveaux médicaments sont éphémères. Enfin, un comité de «pharmacovigilance» recueille toutes les informations sur les intolérances provoquées par les médicaments mis sur le marché.5. Rôle du médicament dans le monde moderneC’est à l’évolution de la médecine et aux médicaments que l’on doit dans les pays développés la disparition de grandes épidémies, la régression ou la guérison de maladies infectieuses, telles que variole, diphtérie, typhoïde, tuberculose, septicémies, syphilis..., qui faisaient des ravages au siècle dernier (tabl. 2).Si les résultats sont moins spectaculaires pour les maladies dégénératives (cancer, affections cardio-vasculaires), on obtient sinon la guérison, du moins des rémissions (notamment dans les leucémies) et bien souvent la diminution de la souffrance. Des centaines de milliers de malades peuvent, grâce aux médicaments, mener une vie active et productive; c’est le cas des diabétiques depuis la découverte de l’insuline et des sulfamides hypoglycémiants. La réussite des opérations chirurgicales audacieuses pratiquées aujourd’hui est due en partie aux nouveaux anesthésiques, aux anticoagulants, aux antibiotiques. Il en résulte une diminution considérable de la mortalité infantile, une prolongation de la vie: dans le monde occidental, l’espérance de vie est passée de vingt-neuf ans en 1750 à quarante ans en 1870 et à plus de soixante-dix ans en 1981.L’homme moderne proclame son droit à la santé, dont le médicament est l’un des instruments. Il n’est pas d’acte médical qui ne soit accompagné aujourd’hui de la prescription de médicaments. On observe aussi la pratique de l’«automédication» avec ses dangers. Il existe des règles de «bon usage» du médicament.Aussi assiste-t-on dans les pays évolués à un accroissement continu de la consommation pharmaceutique, en rapport avec l’élévation du niveau de vie, qui entraîne une prise de conscience sanitaire du public. Comme les thérapeutiques sont de plus en plus coûteuses, chez toutes les nations où les organismes officiels remboursent une partie des frais médico-pharmaceutiques et notamment en France, on parle d’une «surconsommation médicale» et de ses dangers pour l’économie du pays [cf. PHARMACIE ET INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE]. En contrepartie, l’opinion populaire est fondée, qui prétend que «la santé n’a pas de prix» et que «le médicament coûte moins cher que la maladie»; on a, en effet, calculé le nombre de journées de travail récupérées grâce aux soins et à l’usage des médicaments. Dans les pays en voie de développement où sévissent de grandes endémies comme le paludisme, il y a malheureusement encore sous-consommation de remèdes. Par raison d’économie, l’O.M.S. encourage l’utilisation des ressources locales.Mais il est certain, d’une part, qu’il n’y a pas de médicament miracle, d’autre part, que l’hygiène et le régime de vie, l’équilibre entre repos et travail (sans hypnotique ni excitant: alcool, tabac) ont une importance primordiale pour la santé. Il y a «une morale» du médicament, et celui-ci ne doit pas faire perdre à l’homme le sentiment de la responsabilité ni lui faire oublier le sens de l’effort et de la souffrance.
Encyclopédie Universelle. 2012.